HISTOIRE

CONTE : le cochon de Noël

 

Pendant la dernière guerre, il était interdit de détenir des armes sous peine de sanctions sévères. Les habitants d'un petit village lorrain avaient donc remis en mairie les fusils de chasse et toutes les vieilles pétoires à poudre noire susceptibles encore de pouvoir envoyer du plomb. Les hommes, peu nombreux, n'en devaient pas moins assurer le quotidien et c'était bientôt Noël. C'est ainsi que durant l'hiver, ils "faisaient du bois" et braconnaient un peu à la barbe de l'occupant. Tous les jours, ils redoublaient d'ardeur au passe-partout pour couper les arbres et les débiter afin de façonner quelques beaux stères de bois de chauffage qu’ils pourraient vendre au village, c’était les affouages. Chaque famille avait droit à ses portions mais il fallait les façonner et les hommes étaient rares parce que prisonniers en Allemagne. Les jeunes, bien vaillants et quelques vieux, forts surtout  de leurs conseils s’étaient donc mis à la tâche et partaient tous les jours « au bois ». Si le Gil, un jeune d’une vingtaine d'années, n'était pas le dernier  pour le travail, il passait aussi pour un as dans  la pose des collets pour les lièvres.  Il lui vint un jour l’idée  de s’attaquer à du plus gros. C'est ainsi qu'un soir, il posa un beau fil de fer à fagots sur une coulée de gros noirs qu'il avait repérée un peu plus tôt dans la journée. Le Gaston, un ancien de plus de 70 printemps qui était en forêt ce jour-là avec lui, avait confirmé la présence des "souillots" dans le secteur.

 Le lendemain matin, le brouillard à peine dissipé, ils étaient déjà à pied d’œuvre depuis un moment et suaient à grosses gouttes  en fendant les  « tronces » de chêne avec des coins, sans trop s’occuper des alentours. C’est alors que la Mirette, une vieille chienne presque aveugle, attachée à un arbre  et qui donnait des signes de nervosité, se mit à japper avec force. Son manège  finit par intriguer nos bûcherons

  • Mais qu'est-ce qu'elle a ta chienne depuis le matin ?
  • J'sais pas dit le Gil, mais y'a quelque chose dans le coin qui l'énerve, c'est sûr , j'vais  la lâcher. 

 Sitôt la ficelle défaite, la Mirette qui avait soudain retrouvé  la vigueur de ses jeunes années  fila dans les fourrés suivie par les gaillards, chacun à son rythme.  Soudain des aboiements mêlés à des bruits de bagarre avec un autre animal parvinrent aux oreilles de nos deux hommes qui arrivèrent bientôt sur les lieux du combat. Un sanglier d'au moins 50 kg, pris dans le collet, se débattait en hurlant pour échapper à la morsure du chien qui le tenait fermement par une patte arrière. L'occasion était belle d'améliorer l'ordinaire à peu de frais. Encouragé par le Gaston qui peinait à retrouver son souffle après sa cavalcade dans les broussailles, le Gil leva sa hache et en asséna un bon coup, du plat, sur la tête du sanglier qui ne bougea plus. "Ça s'arrose, dit le Gaston, faudra ramener la bestiole sans se faire voir, on va attendre la nuit."

 Il était presque midi et un bon feu qui servait à brûler les branchages accueillit bien vite nos deux braves qui déposèrent le sanglier tout près du brasier avant de boire une bouteille de vin gris à même le goulot pour fêter l’événement. On viderait  la bête après, avec le froid, la viande ne s’échaufferait pas, il n’y avait pas d’urgence. Comme Perrette avec  son pot au lait, les hommes partageaient déjà la bête et  en  attribuaient les morceaux à tel ou tel du village sans faire de jaloux. Ah, on s’en souviendra du cochon de Noël… Un aboiement de la Mirette leur fit tourner la tête. Le sanglier, qui n’était qu’assommé, revigoré par la chaleur du feu avait retrouvé  ses forces et filait dans les broussailles...
Le Gil malgré ses bonnes jambes ne put le rattraper, le "cuissot de Noël " venait de se faire la belle au nez et à la barbe de nos apprentis chasseurs.

Philippe Bajolet 

 

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